Au Maroc, un second souffle pour des mineurs en difficulté Nov23

Au Maroc, un second souffle pour des mineurs en difficulté

Quand des adolescents en grande difficulté scolaire, familiale et sociale
peinent à reprendre pied, un séjour de rupture à l’étranger peut offrir un nouveau départ. Depuis 2015, la Sauvegarde du Finistère propose des séjours de six mois au Maroc. En immersion totale.

Taroudannt se réveille sous un brouillard épais et déjà étouffant. Dans les innombrables boutiques ateliers ayant pignon sur rue et portes ouvertes, l’on commence à poncer, scier, pétrir, souder, torréfier, découper.

Au café Dubaï, Carolina* noue son tablier autour de sa taille. Dans un tout petit garage automobile sombre et saturé d’outils, Victor prend le thé avec ses collègues et les ferrailleurs voisins.

Un séjour de rupture

À l’école de coiffure, Amel prépare ses colorations sous l’œil attentif de son formateur, Khalid Al Mouhandiz. Et Maïwenn enfile sa blouse noire pour commencer sa journée dans la cuisine du restaurant Achkid qui est, dit-on, l’un des meilleurs de la ville.

Ces quatre adolescents sont français. Tous les quatre, anonymes dans la fourmilière quotidienne de la ville marocaine, sont ici pour un séjour de rupture.

Nouveau souffle

Ces séjours existent depuis des décennies en France et à l’international. Ils ont pour but de proposer un nouveau souffle à des jeunes aux vies tumultueuses. Chacun a ses raisons : une ultime alternative avant l’incarcération, un éloignement d’une famille toxique, un mal-être psychique qu’on ne parvient pas à guérir, des fugues à répétition de maisons d’enfants à caractère social (Mecs) et familles d’accueil.

« Parfois, les séjours de rupture interviennent aussi comme une mise à l’abri face à un réseau de prostitution ou des menaces de mort suite à une dette », précise Ghislaine Debord, res-ponsable du dispositif d’accueil diversifié (DAD) à la Sauvegarde du Finistère.

« Incasables »

Ce sont ces jeunes bien connus des conseils départementaux, qui ont testé plusieurs structures et pour qui un verdict prononcé à demi-mot circule parfois dans les couloirs : « incasable ».

Dans ces situations, seule une coupure radicale semble pouvoir esquisser la solution aux problèmes. Séparer brutalement le jeune de ses fréquentations, de son environnement quotidien, de tout ce qui lui complique la vie.

« Je ne faisais plus rien »

« Moi, je ne faisais plus rien de mes journées et je ne dormais plus », explique Victor, regard espiègle sous ses mèches blondes rebelles. Il lui arrivait de passer trois nuits d’affilée sans dormir. Pourquoi ? « J’en sais rien », sourit-il.

Il n’allait plus à l’école. Il jouait à la PlayStation et « traînait ». Depuis deux mois, il a posé ses valises chez Hayat El-Mehyry et Brahim Ahdouche, une maison aux murs rouge brique à l’écart de la ville, protégée par une armée de plantes.

Une belle rencontre

Toute la journée, il se forme à la mécanique dans un garage automobile. Et le soir, conséquence d’une belle rencontre avec l’épicier du coin, cordonnier à ses heures, il fabrique des babouches en discutant d’ailleurs.

Mohamed, l’épicier-cordonnier, a beaucoup voyagé. Il a exercé de nombreux métiers. « Et il faut transmettre », dit-il avec la voix posée des grands sages, « les connaissances il faut qu’elles circulent, ce n’est pas bon de les garder pour soi ».

Manger en famille

Il faut voir les regards que s’échangent ces deux-là pour comprendre ce que sont ces séjours de rupture. Il faut voir, aussi, avec quel soin et quelle tendresse Hayat prépare l’assiette de Victor, lui qui ne mangeait plus en famille.

« J’aime bien avoir ces jeunes à la maison parce que c’est bien d’aider les autres, sourit Hayat El-Mehyry. Et aussi, ça m’aide dans ma relation à mes propres enfants. Ils comprennent que certains jeunes n’ont pas pu avoir toute l’affection que, eux, ont eue en famille. »

La fibre sociale

Hayat et Brahim ont fait partie des premières familles d’accueil à l’ouverture du dispositif. À Taroudannt, c’est l’association Ahlan, via son dispositif de séjour de rupture (DSR), qui se charge d’accueillir les jeunes et de trouver des familles volontaires, selon des critères précis : il convient d’avoir la « fibre sociale », de disposer d’une chambre libre et qu’un membre au moins de la famille maîtrise le français.

Des critères plus fins apparaissent au moment de décider quel jeune sera accueilli dans quelle famille : la présence du père, si cela résonne particulièrement dans l’histoire personnelle du jeune, une proximité ou non avec la ville et ses potentielles tentations, … Maryam Amazzal, énergique cheffe de service du DSR, compose les paires avec un soin infini.

Des travailleurs sociaux locaux
Les séjours ont débuté en 2015. La Sauvegarde du Finistère, via son dispositif d’accueil diversifié (DAD), proposait des départs en Espagne et au Sénégal. L’association souhaitait ouvrir des possibilités dans un troisième pays, en gardant l’ADN du dispositif : le travail en partenariat avec des travailleurs sociaux et des familles sur place.

C’est Ahlan, ONG de défense des droits de l’Homme à Taroudannt, qui s’est imposée comme partenaire. Elle a créé un service dédié, le DSR, jumeau du DAD. Ici, aucun membre de la Sauvegarde n’est en poste. C’est l’équipe d’Ahlan, en lien quotidien avec l’équipe française basée à Quimper, qui gère les stages, les cours, les familles… et les problèmes.

Des jeunes imprévisibles

Hayat et Brahim ont fait partie des premières familles d’accueil à l’ouverture du dispositif. À Taroudannt, c’est l’association Ahlan, via son dispositif de séjour de rupture (DSR), qui se charge d’accueillir les jeunes et de trouver des familles volontaires, selon des critères précis : il convient d’avoir la « fibre sociale », de disposer d’une chambre libre et qu’un membre au moins de la famille maîtrise le français.

Des critères plus fins apparaissent au moment de décider quel jeune sera accueilli dans quelle famille : la présence du père, si cela résonne particulièrement dans l’histoire personnelle du jeune, une proximité ou non avec la ville et ses potentielles tentations, … Maryam Amazzal, énergique cheffe de service du DSR, compose les paires avec un soin infini.

Des travailleurs sociaux locaux

Les séjours ont débuté en 2015. La Sauvegarde du Finistère, via son dispositif d’accueil diversifié (DAD), proposait des départs en Espagne et au Sénégal. L’association souhaitait ouvrir des possibilités dans un troisième pays, en gardant l’ADN du dispositif : le travail en partenariat avec des travailleurs sociaux et des familles sur place.

C’est Ahlan, ONG de défense des droits de l’Homme à Taroudannt, qui s’est imposée comme partenaire. Elle a créé un service dédié, le DSR, jumeau du DAD. Ici, aucun membre de la Sauvegarde n’est en poste. C’est l’équipe d’Ahlan, en lien quotidien avec l’équipe française basée à Quimper, qui gère les stages, les cours, les familles… et les problèmes.

« C’est exactement ce que nous cherchons, lui répond Xavier Velly, directeur du DAD. Que la famille continue de vivre comme elle vit, pour que les jeunes reviennent en France avec un autre regard. » Et le directeur de remercier le père d’accueil, « parce qu’on sait que ce sont des enfants qui sont difficiles. Parce qu’ils ont une histoire difficile ».

En stage

Les patrons de stage, eux aussi, ont pu être confrontés à la désinvolture de certains jeunes. « Certains ne veulent pas recommencer après, parce qu’ils cherchent un stagiaire
“parfait”, explique Maryam Amazzal. Mais ceux qui ont la fibre sociale et la patience, ils s’accrochent, et ça marche. »

Comme Abdelouahed Fikri, par exemple. Maryam aime placer les jeunes dans sa pépinière pour commencer leur séjour, quand ils ne savent pas trop vers quel secteur professionnel se diriger. Difficile de s’énerver, en effet, dans un cadre paradisiaque et face à quelqu’un d’aussi doux que celui qui a créé cette oasis en plein désert, en toute humilité.

« J’aime bien accueillir des jeunes d’ailleurs. Cela nous rapproche de notre humanité », explique-t-il en cueillant quelques fleurs aux couleurs vives. Dans son immense pépinière à l’écart de la ville, les jeunes apprennent à semer, bouturer, cueillir, rempoter.

Immersion totale

Jardins, écoles, restaurants, orphelinats, garages automobiles, librairies : Ahlan a quadrillé la ville de lieux de stages potentiels. Les jeunes y bénéficient d’une formation et d’une gratification de 15 dirhams (1,50 euro) par jour travaillé, en plus de leur argent de poche hebdomadaire (50 dirhams, 5 euros).

Combiné avec l’accueil en familles, leur séjour est une immersion totale dans une autre culture, durant trois à six mois. Une décision courageuse qu’ils ont prise eux-mêmes.

Une condition essentielle : être volontaire

À Quimper, c’est l’équipe française qui se charge de recevoir les jeunes candidats aux séjours de rupture pour un premier entretien. Le DAD peut accueillir dix-huit jeunes simultanément sur les trois pays. Dix places sont réservées aux jeunes finistériens, les huit autres ouvertes aux adolescents de toute la France.

Les demandes s’effectuent via la plate-forme Oser (1) et sont envoyées à tous les dispositifs de séjour de rupture. Si le DAD a des possibilités d’accueil, il prend contact avec le jeune et son référent : référent de l’aide sociale à l’enfance (ASE), éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), etc. Une condition est essentielle : l’adolescent doit être volontaire. Les trois éducateurs du service, chapeautés par la cheffe de service Ghislaine Debord et le directeur Xavier Velly, organisent ensuite le départ.

Refusés partout

« Parfois, ils sont même étonnés qu’on leur dise “oui”, tellement ils ont été habitués à être refusés partout », raconte le directeur. Chaque jeune a un éducateur référent du DAD qui le suivra sur l’ensemble du séjour : il effectue le voyage aller en sa compagnie et le présente aux collègues du DSR. Un appel hebdomadaire entre le jeune et son référent quimpérois permet de faire le point régulièrement.

Liaison quotidienne

Entre le DSR marocain et le DAD français, la communication est quotidienne : une fiche de liaison hebdomadaire par jeune et une réunion hebdomadaire entre les équipes permettent d’assurer un suivi constant.

Et une ligne identique : « Il faut qu’on ait exactement le même discours et les mêmes infor-mations », précise Maryam Amazzal, « sinon les jeunes vont jouer avec ça. Par exemple, il raccroche avec son éducateur du DAD et il me dit qu’il a des sorties autorisées. Mais ce n’est pas vrai ».

Si le DSR n’est pas présent lors de ces appels, pour permettre au jeune de s’exprimer librement, l’éducateur du DAD lui fait un compte rendu des appels. « La famille, le DAD et le DSR doivent travailler tous ensemble. Car les jeunes vont forcément chercher les failles », explique Rachid Birouk, directeur d’Ahlan.

Confiance mutuelle

Une cohésion d’équipe qui a nécessité quelques ajustements. « On a dû se former au vocabulaire du social », poursuit Rachid Birouk, qui manie désormais à la perfection les acronymes et dispositifs de la protection de l’enfance française : PJJ, ASE, contrat jeune majeur, note d’incident…

Au-delà de l’aspect technique, c’est aussi la grande confiance humaine entre les équipes qui est primordiale. Pour cela, des déplacements réguliers des professionnels sont nécessaires.

Un cadre solide et cohérent
Comme lors de ce mois de juin 2022, où Xavier Velly et Ghislaine Debord viennent à la rencontre des équipes, des jeunes et des familles à Taroudannt. À la première réunion dans le salon d’Ahlan, les professionnels reviennent ensemble sur une situation complexe. Une jeune a fait une tentative de suicide dans l’avion, à son arrivée. Le DAD et le DSR, en lien avec le psychiatre et avec l’accord de la jeune, ont décidé de maintenir le séjour.

« On a conscience que l’on vous demande un travail très difficile, reconnaît Xavier Velly. On en est conscients mais on est aussi confiants. » Cette confiance tissée fermement au fil des ans permet aux jeunes de partir dans un cadre solide et cohérent. Les équipes du DAD savent en permanence ce qu’il se passe. Lors des séjours, ils rencontrent les familles d’accueil et les maîtres de stage.

Un partenariat durable

Ce partenariat solide avec une association locale fait la spécificité du DAD, là où les séjours de rupture conduisent en général des professionnels français à se déplacer avec les jeunes et à rester sur place en permanence.

« Cela part d’un postulat simple, explique Xavier Velly. On ne prétend pas pouvoir faire à l’étranger ce qu’on fait en France, comme on le fait en France, et on ne prétend pas pouvoir faire aussi bien que ce que feraient les partenaires étrangers dans leurs pays. »

« Chaque jeune est unique »

Le DSR échange avec le DAD et reçoit le dossier du jeune avant son arrivée. Là, Maryam Amazzal cherche le stage et la famille qui correspondent le mieux. Pour chaque jeune, c’est un travail de dentelle qui se met en œuvre.

Chaque jeune est unique, on travaille avec l’humain, donc il faut s’adapter ! Maryam a dans son sac plusieurs plans B, C, D. Pour chaque jeune, elle a toujours une famille et un lieu de stage prêt à accueillir du jour au lendemain.

Rebondir rapidement

Ainsi, si cela se passe mal dans une famille ou un stage, le jeune rebondit rapidement. C’est le cas de Carolina qui, le lundi, a dû arrêter son stage : sa patronne l’avait jugée insolente avec une cliente. Le mercredi, elle nouait son tablier au café Dubaï et servait ses premiers cafés.

Mais globalement, les maîtres de stages comme les familles louent les très grandes qualités des jeunes. « Quand on me parle des jeunes et des dossiers, je me dis, “ça va être dur” », reconnaît Mohamed Kalouch, père d’accueil de Carolina, qui était professeur chez Ahlan avant de devenir famille d’accueil. « Et à chaque fois que je viens chez Ahlan, c’est très calme, les jeunes sont très sympas ! »

Un remède
Tous parlent du même schéma : des difficultés au début, rapidement calmées. Fatima Benamira et Ismaïl Id Ahmed, famille d’accueil eux aussi, se souviennent en riant de Hamza, un jeune au comportement explosif. Il avait calfeutré sa chambre et mis le feu au matelas, entraînant une panique générale à la maison et au DSR. Mais à la fin du séjour, il ne voulait plus partir.

Ici, en famille, les jeunes retrouvent le cadre et l’affection, dans un équilibre qui tient la barre. Certains retrouvent le chemin de l’école ou de la formation, d’autres arrêtent les traitements lourds qui assuraient leur bien-être psychique. « Le séjour de rupture peut être un remède », résume Rachid Birouk.

Prendre soin

Chaque adolescent construit donc son nouveau monde, entouré de sa famille, ses collègues de stages et les éducateurs et éducatrices marocains. Les contacts avec les proches en France restent limités : un appel à la famille par semaine depuis les locaux d’Ahlan et 30 minutes d’Internet. Il faut cela, selon les équipes, pour que le séjour de rupture porte bien son nom.

Et même si la famille manque, « ça se passe hyper bien », sourit largement Maïwenn, les sourcils levés comme si elle se surprenait elle-même que ce soit possible. « Tu vois, ce sont pour ces sourires-là qu’on fait ce métier », lui renvoie Xavier. « Ça se voit que tu as pris confiance en toi », renchérit Ghislaine.

« Je prends soin de toi »

Sa mère d’accueil, Aziza Skiri, poursuit : « L’autre jour, je lui ai fait une tresse. Elle me dit que c’est sa mère ou sa sœur qui le font, d’habitude. Je lui ai dit : oui, en ce moment, je suis comme ta mère et comme ta sœur : je prends soin de toi. »

  • Tous les prénoms des jeunes ont été modifiés
    (1) L’association Oser est un réseau qui regroupe, sur le plan national, les structures habilitées ASE , organisatrices de séjours dits « de rupture », en France et à l’étranger.
    CONTACTS : Sauvegarde du FinistèreDispositif d’Accueil Diversifié (DAD), tél. : 02 98 52 97 80, e-mail : dad@adsea29.org/ ONG Ahlan Dispositif de séjours de rupture (DSR) – dsr@ahhlan.org